Aller au contenu

Anatomie d'une chute : une relecture contemporaine du mythe d'Œdipe

Œdipe revisité dans "Anatomie d'une chute" Clotilde Leguil explore l'aveuglement et le consentement à travers le film, et la manière dont Daniel, tel un Œdipe moderne, résout l'énigme de son destin en affrontant son passé refoulé.


France Inter nous propose une analyse fascinante du film "Anatomie d'une chute" de Justine Triet, Palme d'Or au Festival de Cannes 2023, à travers le prisme de la psychanalyse. Clotilde Leguil, philosophe et psychanalyste de l'École de la Cause freudienne, nous invite à explorer les thèmes de l'inconscient, du consentement et de l'aveuglement en établissant un parallèle entre le personnage principal du film, Daniel, et le célèbre Œdipe de la tragédie de Sophocle.

Comme Œdipe, Daniel est un enfant aveugle confronté à une énigme : la mort mystérieuse de son père, Samuel. Au cours du procès de sa mère, Sandra Voltaire, accusée du meurtre de son mari, Daniel se retrouve dans la position de celui qui doit résoudre l'énigme pour faire éclater la vérité. Mais pour y parvenir, il devra affronter ses propres souvenirs refoulés et oser voir ce qu'il n'avait pu voir jusqu'alors.

Clotilde Leguil souligne que l'inconscient est précisément ce point aveugle de notre destinée, cette part de nous-mêmes que nous ne pouvons pas voir. L'expérience de l'analyse, comme celle vécue par Daniel dans le film, est un consentement à explorer cette région de nos oublis, à nous dessaisir de nous-mêmes pour nous aventurer dans les méandres de notre histoire personnelle.

Si Œdipe finit par s'arracher les yeux lorsqu'il réalise qu'il a accompli malgré lui la prophétie de l'oracle, Daniel, lui, est présenté comme un enfant malvoyant qui parviendra pourtant à voir et à savoir. Son parcours est celui d'un éveil à la vérité, d'un dévoilement progressif de l'énigme de son destin.

Au cœur du film se trouve la question de la parole et de la croyance. Sandra Voltaire, écrivaine hors norme, doit expliquer, dire, prouver ce qui s'est passé le jour de la mort de son mari. Mais ses paroles sont sans cesse mises en doute, soupçonnées de mensonge. Le spectateur est entraîné dans une spirale de doutes, où chaque révélation sur l'intimité du couple semble pointer vers la culpabilité de Sandra.

C'est finalement la parole de l'enfant, Daniel, qui viendra incarner le lieu de la vérité. Non pas une vérité subjective ou relative, mais une vérité qui émerge du sujet lui-même, de son inconscient. En consentant à affronter un souvenir douloureux, une parole obscure de son père qui lui revient soudainement, Daniel fait le choix de la vérité, de ce qu'il considère comme juste.

Clotilde Leguil insiste sur l'importance de ce consentement à voir ce que l'on n'avait pas pu voir jusqu'alors, à se rappeler ce qui avait été oublié. Se souvenir, dans la cure analytique comme dans le film, c'est s'extraire du trou noir de l'ignorance, c'est se retrouver soi-même en explorant les recoins obscurs de notre histoire.

"Anatomie d'une chute" nous plonge ainsi dans une enquête où l'intime est soumis au regard de la justice, mais aussi dans la logique inconsciente du souvenir et les méandres du déchiffrement de la vérité. Le film relance les dés de la tragédie œdipienne, nous invitant à réinterroger l'aveuglement comme épreuve du destin et à faire l'expérience de la recherche de la vérité depuis un consentement à voir ce qui nous était jusque-là caché.

En conclusion, Clotilde Leguil nous offre une lecture originale et stimulante d'"Anatomie d'une chute", mettant en lumière la façon dont ce film actualise et réinvente le mythe fondateur d'Œdipe. À travers le personnage de Daniel, c'est toute la question du consentement à l'inconscient, du choix de la vérité et de l'éveil à soi-même qui est explorée, nous invitant à notre tour à nous interroger sur les points aveugles de notre propre destinée.

Liens intéressants

Dernier