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La période de latence : un temps de pause dans le développement psychosexuel

La période de latence, ce temps de pause dans le développement psychosexuel de l'enfant, est essentielle pour grandir sereinement. Refoulement des désirs, sublimation dans les apprentissages, ouverture au monde social : un article pour comprendre les enjeux de 6 à 12 ans.

Les stades du développement psychosexuel : une théorie fondamentale de Freud

Après la résolution du complexe d'Œdipe vers 5-6 ans, l'enfant entre dans une phase plus calme de son développement appelée période de latence. Selon la théorie psychanalytique de Freud, il s'agit d'un temps de mise en veille des pulsions sexuelles jusqu'à la puberté.

Pendant la période de latence, la libido, cette énergie psychique liée aux désirs, est réorientée vers des buts non sexuels. L'enfant s'intéresse davantage aux apprentissages scolaires, au sport, aux loisirs créatifs, aux relations amicales avec les enfants du même sexe. Ses pulsions sexuelles sont refoulées dans l'inconscient et s'expriment de façon plus subtile, à travers la tendresse, l'affection, la curiosité intellectuelle.

Cette mise en latence des désirs œdipiens permet à l'enfant de s'ouvrir au monde social et culturel. Il intègre les règles morales, développe sa capacité à coopérer, à maîtriser son agressivité. Le refoulement protège son Moi encore fragile en maintenant à distance les désirs et fantasmes inconscients.

L'énergie pulsionnelle est aussi sublimée, c'est-à-dire détournée vers des activités socialement valorisées. Un enfant pourra par exemple sublimer une pulsion voyeuriste dans le dessin, une tendance agressive dans un sport de combat. Cette réorientation constructive de la libido favorise le développement des compétences et de la créativité.

Sur le plan cognitif, l'enfant de la période de latence accède à des raisonnements plus logiques, à la pensée concrète. Il a soif d'apprendre et de comprendre le monde qui l'entoure. Son imaginaire est riche, nourri par les contes, les récits, mais plus contenu que pendant la période œdipienne.

Les relations aux parents évoluent également pendant la latence. Les désirs amoureux et hostiles envers les parents sont refoulés, ce qui apaise les relations. L'enfant s'identifie au parent du même sexe dont il intègre les valeurs et les idéaux. Il se conforme au rôle social attendu.

Avec ses pairs, l'enfant noue des amitiés électives, souvent avec des enfants du même sexe. Ces liens apportent complicité, rivalité, émulation et permettent de cultiver le sentiment d'appartenance à un groupe. Les jeux gagnent en coopération et en organisation.

La période de latence n'est pas pour autant un long fleuve tranquille. Des difficultés peuvent survenir si le refoulement est trop intense, empêchant la sublimation. Un enfant chez qui les désirs œdipiens restent trop menaçants peut se replier dans l'inhibition intellectuelle, l'isolement, ou au contraire l'agitation.

Certains enfants ne parviennent pas à mettre en veille leur sexualité infantile et présentent des comportements sexuels inappropriés, signes que le refoulement est défaillant. D'autres au contraire développent une pudeur excessive, un dégoût pour la sexualité, une hypermoralité, défenses rigides contre des désirs mal refoulés.

Le refoulement excessif de l'agressivité peut aussi poser problème, rendant l'enfant craintif, soumis ou au contraire tyrannique avec ses pairs. La sublimation dans les apprentissages peut être entravée, conduisant à des difficultés de concentration, une restriction de la curiosité.

Malgré ces écueils possibles, la période de latence, quand elle se déroule bien, renforce le Moi de l'enfant en l'aidant à équilibrer le ça pulsionnel et le surmoi moral. Elle pose les bases narcissiques et sociales qui permettront d'aborder les remaniements de l'adolescence.

Pendant la latence, les changements corporels sont minimes, l'enfant grandit et acquiert de la force musculaire mais sans transformation pubertaire. La fin de la latence est marquée par l'arrivée de la puberté qui réactive les pulsions sexuelles avec une intensité nouvelle. Les défenses mises en place pendant la latence seront alors mises à l'épreuve.

La théorie de la latence chez Freud a été critiquée et nuancée par d'autres psychanalystes. Ainsi, Mélanie Klein considère qu'il n'y a pas de véritable latence, que les désirs œdipiens restent actifs tout au long de l'enfance, suscitant angoisse et sentiment de culpabilité. Pour elle, le jeu et les sublimations visent surtout à lutter contre ces affects pénibles.

Françoise Dolto parle d'une latence du corps plus que de la psyché. Si les transformations corporelles marquent une pause, la vie psychique reste animée de désirs, de questionnements, d'angoisses existentielles qui ne sont pas toujours reconnus par l'entourage, l'enfant étant vu comme "sans problème".

Les sociologues ont aussi questionné l'universalité du concept de latence, y voyant une construction sociale propre aux sociétés occidentales qui scolarisent les enfants et séparent le monde de l'enfance de celui de la sexualité adulte. Dans d'autres cultures, le passage de l'enfance à l'âge adulte se fait de manière plus progressive, sans rupture aussi nette.

Malgré ces débats, la notion de période de latence reste précieuse pour penser la dynamique du développement psychosexuel. Elle rend compte de l'apaisement relatif qui succède à la tempête œdipienne et prépare aux bouleversements de l'adolescence.

Pendant ces années de répit, l'enfant construit son identité sociale, intègre les apprentissages, enrichit son monde imaginaire et relationnel. Il apprend à moduler l'expression de ses désirs pour s'adapter à son environnement. La latence est un temps de maturation psychique où se forgent des compétences et des défenses qui serviront tout au long de la vie.

Comprendre les enjeux de la période de latence permet aussi de repérer les enfants en difficulté, chez qui le refoulement est trop fort ou trop lâche. L'inhibition intellectuelle, l'isolement relationnel, l'agitation, la trop grande sexualisation ou au contraire la rigidité morale sont autant de signes possibles d'une latence perturbée.

Soutenir un enfant pendant sa latence, c'est l'aider à découvrir ses domaines d'investissement propres, respecter sa pudeur sans la renforcer, l'autoriser à exprimer ses émotions et ses questions dans un cadre bienveillant. C'est l'encourager à nouer des liens avec ses pairs tout en veillant à ce qu'il ne soit ni trop dépendant ni trop tyrannique.

Les parents ont aussi à trouver la bonne distance, en acceptant que leur enfant s'éloigne d'eux pour investir de nouveaux objets. Ils restent des figures d'attachement essentielles, mais doivent composer avec l'ouverture de l'enfant à d'autres modèles et influences.

À l'école, les enseignants sont aux premières loges pour repérer les enfants qui ne parviennent pas à investir les apprentissages ou à s'intégrer dans le groupe. En lien avec les parents et parfois avec des professionnels de l'enfance, ils peuvent aider ces élèves à dépasser leurs blocages pour profiter pleinement de ce temps d'acquisition des savoirs.

En offrant un espace de parole et de jeu, la psychothérapie peut être une aide précieuse pour les enfants qui traversent difficilement cette période. En permettant une élaboration des conflits psychiques dans un cadre sécurisant, elle relance les processus de refoulement et de sublimation nécessaires aux progrès affectifs et cognitifs.

La période de latence est donc un temps de consolidation narcissique et d'ouverture au social, où l'enfant apprend à équilibrer son monde interne pulsionnel et les exigences de son environnement. En mettant en veille sa sexualité infantile pour investir les apprentissages et les relations, il pose les jalons de son devenir d'adulte.

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