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Le malaise dans la civilisation, un éclairage psychanalytique

Sur France Inter, Jean-Pierre Winter explore le Malaise Dans La Civilisation : désir, surmoi et pulsion de mort au cœur de nos souffrances individuelles et collectives. Un appel à la résistance par la parole et la liberté créatrice. #LInconscient


Dans son émission "L'inconscient" sur France Inter, le psychanalyste et écrivain Jean-Pierre Winter propose une réflexion approfondie sur le malaise individuel et collectif ressenti dans notre société contemporaine. S'appuyant principalement sur l'ouvrage de Freud "Malaise dans la civilisation" publié en 1930, il tente de montrer comment les souffrances de l'individu s'insèrent dans un monde vécu comme anxiogène, violent et de plus en plus incertain.

Dès l'origine, la psychanalyse s'est élaborée en interrogeant simultanément la dimension individuelle du psychisme et sa dimension collective. Certains textes majeurs de Freud et de son école ont ainsi permis de postuler que des phénomènes de la vie psychique font écho à la vie de la Cité et réciproquement. Winter souligne que notre monde actuel semble plus incertain que jamais. Il questionne si ce que nous vivons aujourd'hui sera pire que ce qui a été connu après Auschwitz et Hiroshima.

Freud écrivait en 1930 : "La question du sort de l'espèce humaine me semble se poser ainsi : le progrès de la civilisation saura-t-il, et dans quelle mesure, dominer les perturbations apportées à la vie en commun par les pulsions humaines d'agression et d'autodestruction ?" Il mettait en avant l'existence, à côté de l'instinct de vie (Eros), d'un instinct de mort (Thanatos), dont l'action conjuguée ou antagoniste permettrait d'expliquer les phénomènes de la vie.

Les choses deviennent dramatiques quand un surmoi collectif est mis politiquement au service de la pulsion de mort, analyse Winter. Nous nous soumettons à ce surmoi collectif car dès notre naissance, nous nous sentons menacés d'être privés d'amour. Quand nous n'aimons plus le Père (au sens symbolique), nous lui substituons un surmoi d'une grande férocité. Cela explique en partie la tentation totalitaire et ultra répressive à laquelle nous sommes confrontés dans de nombreux pays.

En effet, plus le désir s'impose, plus le surmoi devient gourmand et plus la répression se fait violente. La culpabilité inconsciente, dont la haine est le reflet conscient, engendre alors le crime et non l'inverse. Le désir de mourir pour expier, noyau de notre commune mélancolie, peut se transformer pour certains en désir de tuer, voire en jouissance morbide.

Face à cela, que faire ? Winter suggère de résister, au nom d'une transcendance qui rassemble les hommes au-delà de leur finitude corporelle. Dire les choses, c'est déjà résister. La psychanalyse, en se centrant sur la parole, œuvre pour préserver des espaces d'humanité. Elle invite à renouer avec la liberté créatrice de l'enfant, à partir du "rien" plutôt que du "tout" imposé par le surmoi.

Cependant, le monde contemporain semble nous pousser à ne plus rien savoir de la parole. Nous sommes incités à communiquer avec des machines qui réduisent nos échanges à des injonctions binaires. Un "inconscient numérique" serait en train de se substituer à l'inconscient spirituel. Cette "psychopolitique numérique" s'empare du comportement des masses en prenant connaissance de la logique inconsciente de leur fonctionnement.

Winter conclut que la psychanalyse doit rester insoumise aux idéaux religieux, politiques ou médicaux. Son rôle est d'interroger ce qui lui paraît inhumain dans les comportements, non de produire une parole de maîtrise définitive. Chaque fois que les psychanalystes s'expriment sur ce qui leur semble morbide ou délétère dans la société, ils sont en accord avec leur éthique.

Lors des questions des auditeurs, Winter précise certains concepts. "Céder sur son désir" signifie renoncer à son désir profond pour satisfaire les exigences surmoïques externes, source de culpabilité. La "résilience" ne peut advenir que dans un rapport à l'autre, un "tuteur" aidant à sublimer le traumatisme vécu. Enfin, le "père symbolique" renvoie à une fonction de différenciation, pas à un père réel toujours défaillant. Un vrai père est celui qui sait dire "non" à ce qui est interdit par la vie en société.

En définitive, cette émission met en lumière avec finesse la complexité des interactions entre psychisme individuel et vie collective. Elle montre la pertinence toujours actuelle de la pensée freudienne pour éclairer les maux de notre civilisation et suggère des pistes de résistance face aux dérives déshumanisantes qui nous guettent.

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