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Le rire en psychanalyse : un outil thérapeutique insoupçonné

Le rire partagé entre patient et analyste lors d'une séance de psychanalyse peut avoir une portée libératrice et soignante, selon la psychanalyste Laurie Laufer. Elle souligne que l'humour peut aider à désamorcer l'angoisse, lever les inhibitions et renouer avec la spontanéité. #humour


Lors d'une récente émission sur France Inter, la psychanalyste Laurie Laufer s'est penchée sur un sujet peu abordé mais pourtant fondamental dans le cadre de la thérapie analytique : le rôle du rire et de l'humour. Loin d'être anecdotique, le surgissement d'un éclat de rire partagé entre patient et analyste lors d'une séance peut en effet avoir une portée libératrice et soignante insoupçonnée.

Laurie Laufer relate ainsi comment un simple jeu de mots d'une patiente sur le fait qu'elle "espère que vous ne faites pas que m'attendre dans la semaine", en réponse à la formule habituelle "je vous attends" pour le prochain rendez-vous, a pu provoquer un rire complice permettant de désamorcer l'angoisse de la séparation. La "fulgurance du mot d'esprit", comme le nomme la psychanalyste, a le pouvoir de faire éclater la "bulle sérieuse" dans laquelle patient et thérapeute peuvent parfois s'enfermer.

Freud lui-même, nous rappelle Laurie Laufer, accordait une grande importance à l'humour et au rire, lui qui collectionnait les histoires drôles. Dans plusieurs de ses écrits majeurs comme "Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient", le père de la psychanalyse théorise la fonction du rire. Il y voit un "gain de plaisir" permettant une "épargne de dépense de sentiment triste". Pour Lacan, l'aptitude à l'humour était même "l'un des critères de distinction entre des sujets normaux et les malades mentaux".

Au-delà de son effet de soulagement immédiat, le rire en séance a une véritable portée interprétative selon Laurie Laufer. Lorsqu'une patiente lâche "Ma journée a été un cauchemar, heureusement que je viens voir Laurie l'enfer", le lapsus/mot d'esprit, en faisant émerger l'équivoque du signifiant, ouvre sur les sentiments ambivalents envers la thérapie. Comme l'écrivait Freud, "la fulgurance d'un trait d'esprit reconduit toujours plus sûrement à la vérité de l'inconscient que la pensée consciente elle-même".

Rire ensemble lors d'une séance n'a donc rien d'anodin ou de superficiel. C'est au contraire le signe d'un "changement d'importance dans la relation" qui permet de "lever les inhibitions" et de renouer avec la "pulsion de vie". En défiant le sérieux et la maîtrise apparente, le rire réintroduit de la spontanéité et de la fluidité dans l'échange. Il crée une connivence nouvelle entre patient et analyste.

Cette connivence est d'autant plus précieuse qu'elle permet de dépasser les résistances et d'accéder à des contenus inconscients. Comme le souligne Jean Allouch cité par Laurie Laufer, "on ne rit pas ici de vous mais avec vous". Le rire partagé est le signe que quelque chose de l'inconscient a pu être entendu et reconnu par les deux protagonistes. C'est une "manifestation vraie du sujet de l'inconscient".

Bien sûr, tous les rires ne se valent pas en analyse. Laurie Laufer distingue le rire défensif, parfois teinté d'autodérision, qui peut être une façon pour le patient de maintenir l'analyste à distance, du rire "fulgurance" qui fait mouche en touchant une vérité. L'analyste doit donc être à l'écoute de la tonalité singulière du rire de son patient.

Il doit aussi être capable d'accueillir l'humour potentiellement déstabilisant ou provocateur du patient à son égard. Lorsqu'une analysante demande sur le ton de la plaisanterie à Lacan s'il veut bien lui confier son "secret", et que celui-ci répond "mon secret c'est que j'ai 5 ans", il accepte de se laisser "défier" et déplacer de sa position de supposé savoir. L'humour introduit du jeu dans la relation transférentielle.

Mais l'analyste peut aussi lui-même faire preuve d'humour et de traits d'esprit. Ses mots d'esprit peuvent avoir valeur d'interprétation, à condition qu'ils fassent mouche. Comme le dit Laurie Laufer, certains traits d'humour de l'analyste provoquent un effet de "surprise" et de "déplacement" chez le patient, d'autres en revanche "tombent à côté". L'humour en séance est un art subtil du kairos, du mot juste au bon moment.

Rire en analyse, ce n'est donc pas rire de l'analyse ni la tourner en dérision, mais rire grâce à l'analyse, en y trouvant des ressources insoupçonnées de créativité et de vitalité psychique. En permettant au patient de renouer avec "le paradis perdu" de l'enfance et le "rire inextinguible des dieux" (Homère), l'analyse l'aide à alléger le poids du réel et du tragique de l'existence. Comme l'écrit le philosophe Comte-Sponville, "L'humour est la politesse du désespoir". En analyse, il est surtout un formidable vecteur de changement.

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