Le terme "emprise" s'est frayé un chemin dans le discours amoureux contemporain, pointant du doigt un malaise profond et une expérience qui, sous couvert d'amour, s'avère être une capture insidieuse de l'être. Dans son podcast "L'inconscient", Clotilde Leguil explore les méandres de ce phénomène, ses effets et les ressorts psychiques qui le sous-tendent.
L'emprise, un mot qui évoque la difficulté à s'extraire d'une relation, à se déprendre de l'autre, à désobéir à ses injonctions. Mais aussi l'angoisse, la peur qui paralysent et empêchent de rompre le lien. Cette emprise peut s'ancrer dans des conditions objectives, comme une différence d'âge importante, un statut social ou une position hiérarchique qui confèrent à l'autre un ascendant certain.
Le récit de Vanessa Springora, "Le Consentement", adapté au cinéma, met en lumière cette notion d'emprise et son pendant, la "déprise", ce moment de lucidité où l'on se réveille et où l'on parvient à s'extraire de la relation toxique. Mais pour y parvenir, il est crucial de se confronter à ce qui, en nous, a permis à l'emprise de s'installer.
Car l'emprise trouve également un terreau fertile dans des conditions subjectives: l'absence d'une figure paternelle, le besoin d'être désiré, la conviction d'être aimé et l'obligation de tout faire pour le rester. L'emprise s'insinue sournoisement, sans que l'on en prenne conscience, comme si la désobéissance était devenue impossible. L'angoisse de perdre l'amour, de décevoir, de ne pas répondre aux attentes de l'autre, crée un piège qui retient la victime consentante, ou plutôt contrainte à consentir.
C'est là que la psychanalyse éclaire les mécanismes psychiques à l'œuvre. Ce qui exerce une emprise sur nous est aussi ce qui, en nous, fait autorité, brouillant les frontières entre le désir authentique et la soumission, entre le consentement et la contrainte. Tout devient confus, une zone grise où la notion même de consentement est mise à mal.
Clotilde Leguil s'appuie sur le conte de Barbe Bleue pour illustrer les effets de l'emprise et l'impossibilité de désobéir. L'histoire de cette jeune femme qui, malgré le dégoût initial qu'il lui inspire, épouse Barbe Bleue, reflète la fascination et la soumission face à un homme dont les intentions restent opaques. L'interdiction d'ouvrir la porte du cabinet secret, symbole du mystère et de l'inconnu, attise la curiosité et le désir de savoir.
La transgression de l'interdit, la découverte macabre du cabinet et l'effroi qu'elle suscite, font écho à l'angoisse face à la sexualité et au désir de l'autre. La jeune femme a consenti à épouser Barbe Bleue, refoulant son dégoût initial et profitant des plaisirs qu'il lui offre. Mais il y a quelque chose qu'elle ignore et qu'elle veut percer à jour: que veut-il d'elle réellement? Quel destin l'attend entre ses mains?
La petite clé devient alors la métaphore de l'accès au mystère du destin, à la fois inévitable comme la mort et susceptible d'être modifié par nos choix et nos actions. La désobéissance de la jeune femme, bien qu'elle la confronte à l'angoisse, la sauve finalement en lui permettant de découvrir la vérité et de s'émanciper de l'autorité asphyxiante de Barbe Bleue.
D'un point de vue psychanalytique, désobéir ne signifie pas seulement transgresser les interdits d'un autre, mais aussi et surtout désobéir au "surmoi", cette instance intérieure qui nous contraint à nous conformer à des normes et des interdits, au risque de nous éloigner de nos véritables désirs. Le surmoi peut en effet se faire le relais d'une volonté de domination et de jouissance qui maltraite notre être.
S'affranchir de cette voix implique parfois de traverser l'angoisse, mais l'expérience de la désobéissance à un interdit de savoir peut se révéler salvatrice. Elle permet de faire un pas vers son propre désir, même si cela implique de prendre des risques.
Le récit de Vanessa Springora et le conte de Barbe Bleue se rejoignent dans cette exploration de l'emprise et de la désobéissance salvatrice. La transgression de l'interdit permet de lever le voile sur la vérité et de se libérer des chaînes de l'autorité abusive.
L'émission de Clotilde Leguil nous invite à réfléchir à l'emprise et à ses effets dévastateurs sur l'individu. Elle nous encourage à désobéir aux injonctions qui nous empêchent d'accéder à notre vérité et à notre désir, et à nous affranchir des figures d'autorité qui entravent notre liberté.
Le message est clair: ne pas céder à l'abus de pouvoir, ne pas reculer devant l'angoisse, mais oser savoir et se libérer. C'est là le chemin à suivre pour se défaire de l'emprise et se diriger vers un destin choisi.
L'importance de la parole et de l'écoute
L'emprise se nourrit du silence et de l'isolement. Briser le silence en parlant de ce que l'on vit est un premier pas crucial pour se libérer de l'emprise. Il est important de trouver une oreille attentive et bienveillante, que ce soit auprès d'un ami, d'un membre de la famille, d'un professionnel de santé ou d'une association d'aide aux victimes.
Parler permet de mettre des mots sur ce que l'on ressent, de prendre conscience de la situation et de la manipulation dont on est victime. Cela permet également de se sentir moins seul et de trouver le soutien nécessaire pour sortir de l'emprise.
La nécessité de se reconstruire
L'emprise laisse des traces profondes sur la victime. Il est important de prendre le temps de se reconstruire après avoir rompu le lien avec la personne manipulatrice. Cela peut passer par un travail psychologique, mais aussi par des activités qui permettent de retrouver confiance en soi et de se reconnecter à ses propres désirs et besoins.
Il est important de se rappeler que l'on n'est pas responsable de l'emprise que l'autre a exercée sur soi. La culpabilité et la honte sont des sentiments fréquents chez les victimes, mais il est important de les combattre et de se rappeler que l'on a été manipulé.
L'emprise, un phénomène de société
L'emprise n'est pas un phénomène isolé. Il est important d'en parler ouvertement et de sensibiliser le public à cette forme de violence psychologique. Il est également important de mettre en place des dispositifs d'aide et de soutien aux victimes.
En reconnaissant l'emprise comme un problème de société, nous pouvons contribuer à la prévenir et à la combattre.
Conclusion
L'emprise est un phénomène complexe et destructeur qui peut avoir des conséquences dévastatrices sur la vie des victimes. Il est important de le comprendre et de le reconnaître pour pouvoir s'en protéger et aider ceux qui en sont victimes.
L'émission de Clotilde Leguil nous donne des clés précieuses pour décrypter l'emprise et ses effets, et nous encourage à nous affranchir de l'autorité abusive pour retrouver notre liberté et notre intégrité.
N'oublions jamais que la désobéissance peut parfois être salvatrice.
