< L'inconscient par le docteur Nasio
L'inconscient - Episode 2 - France Inter
Chers auditeurs, Bonjour,
Je suis ravie de vous retrouver pour cette deuxième émission et vous racontez comment le psychanalyste que je suis, travaille avec ses patients, qu'il soit un adulte, un adolescent, un enfant, un bébé ou même un couple ou encore toute une famille.
Dans un deuxième temps, je répondrai aux questions que vous m'avez adressé après avoir écouté nos premiers podcasts interactifs déjà en ligne sur notre page "L'Inconscient".
Je vous rappelle la définition de l'inconscient parce que l'inconscient c'est avec ce mot que j'ai décidé de baptiser notre émission.
Qu'est-ce que l'inconscient ? L'inconscient c'est une force. La force souveraine qui nous pousse sans nous en rendre compte à faire ce que nous faisons et à être celui que nous sommes.
Aujourd'hui, j'ai choisi de vous parler de nos adolescents. Oui de nos adolescents, de nos jeunes et de vous raconter ce que j'ai appris des jeunes garçons et des jeunes filles que je reçois dans mon cabinet.
Je vais donc vous parler de la jeunesse et essayez de vous faire entrer dans la tête d'un adolescent pour vivre ce qu'il vit et sentir ce qu'il sent.
Avant tout, je sais que beaucoup d'entre vous ont la chance d'être les parents ou les grands-parents de jeunes garçons et de jeunes filles sans trop des problèmes qui surmontent tant bien que mal les obstacles de cette période troublée de l'existence qu'est l'adolescence.
Je sais aussi que vous n'avez nul besoin d'être psychologue pour entretenir une bonne relation avec eux.
Je souhaite que mes propos vous soient utiles pour mieux connaître l'âme adolescente et mieux guider les enfants que vous aimez.
Je voudrais commencer en définissant brièvement l'adolescence. L'adolescence est un passage, le passage obligé qui va de l'enfance à la maturité.
Je vais définir l'adolescence selon trois points de vue différents et complémentaires :
- Un point de vue biologique,
- Un autre sociologique,
- Et un point de vue psychanalytique.
Du point de vue biologique, nous savons que l'adolescence correspond à la puberté. Plus exactement que le début de l'adolescence correspond à la puberté. Qu'est-ce que la puberté ? La puberté est ce moment de la vie où le corps d'un enfant de 11 ans est embrasé par une extraordinaire flambée d'hormones. La puberté terme médical désigne justement la période au cours de laquelle se développe les organes génitaux apparaissent les attributs féminins et masculins et s'opère une augmentation impressionnante de la taille. Biologiquement parlant, l'adolescence est donc synonyme de l'avènement d'un corps mûr, sexué, capable désormais de procréer.
Pour les sociologues le terme "adolescence" recouvre la période qui va de la dépendance infantile à l'émancipation du jeune adulte. Bref si vous considérez les deux extrémités du passage adolescent, on peut dire que la puberté est au début de ce passage, à l'âge de 11 ans, tandis que l'émancipation y est la fin à l'âge de 25 ans.
Venons-en à présent au troisième point de vue, le point de vue psychanalytique. Qu'est-ce qu'un adolescent pour les psychanalystes que je suis. Tout d'abord voici son portrait pris sur le vif. Ensuite je vous ferai entrer dans la tête de l'adolescent pour vous faire découvrir son vécu intérieur.
Le jeune homme ou la jeune fille d'aujourd'hui est un être bouleversé qui tour à tour se précipite joyeux au devant de la vie, s'arrête soudain, accablés, vide d'espoir, pour redémarrer aussitôt, emporté par le feu de l'action. Quelquefois il est très individualiste et arbore un orgueil démesuré ou au contraire ils ne s'aiment plus se sent nul et doute de tout.
Il porte au nu, un aîné qu'il admire tel un footballeur, à condition que son idole soit diamétralement opposé aux valeurs familiales.
Les seules idéaux auxquels il adhèrent avec passion et sectarisme sont les idéaux quelquefois nobles souvent discutables de sa bande des copains. Oui il tient surtout à sa bande des copains. Ceci est tellement vrai que lorsque je reçois un adolescent pour la première fois et qu'il se montre trop fermé, je sais que si je lui demande qui sont ces trois meilleurs copains et comment il s'appelle, aussitôt son visage s'illumine et sa parole se libère.
Vis-à-vis de ses parents, l'adolescent manifeste souvent des sentiments qui sont l'inverse des sentiments qu'il éprouve réellement pour eux. Ils leur crie sa rage, alors que le petit enfant qui dort au fond de tout adolescent, les aime tendrement. De telles contradictions si fréquentes et si brusques seraient perçues comme anormales à tout autre époque de la vie mais à l'adolescence rien de plus normal.
Souvent l'adolescent est un être qui souffre, exaspère ses parents et se sent étouffé par eux. Mais, il a surtout, et je tiens à vous le dire, il a une force intérieure, une puissance de création extraordinaire, une force sans laquelle aucune œuvre ne serait accomplie à l'âge adulte.
C'est pourquoi je vous dirai que tout ce que nous faisons de biens aujourd'hui, nous les adultes, a été construit avec l'énergie et l'enthousiasme de l'adolescent ou de l'adolescente d'hier.
Or la force créatrice de l'adolescent n'est jamais solitaire. C'est justement à l'âge de l'adolescence que nous comprenons combien l'autre, je veux dire le frère, la sœur, les copains, l'amoureux, ou même un professeur, combien l'autre nous est vital pour être soit.
Incontestablement notre jeunesse est l'une des phases les plus fécondes et les plus fraternelles de notre existence.
Si je devais me confier à vous. Je vous dirai que je suis ravie. Oui, je suis ravi. Ravi d'avoir mon âge et fier d'une belle jeunesse qui m'a conduit à être celui que je suis aujourd'hui et qui vous parle maintenant. La jeunesse est plus forte que le temps. Les jours s'en vont, jeunesse demeure.
Puisque nous parlons des jeunesses, je ne peux m'empêcher de vous réciter ici un vers d'un grand poète latino américain de la fin du 19e siècle Ruben Dario. Le vers que je vais vous lire c'est peut-être le plus beau vers qu'il est écrit. Je vous le dis d'abord en espagnol.
«Juventud, divino tesoro,
¡ya te vas para no volver!
Cuando quiero llorar, no lloro…
y a veces lloro sin querer…».
"Jeunesse divin trésor,
tu t'en vas pour ne pas revenir
quand je veux pleurer je ne pleure pas
et parfois je pleure sans le vouloir."
Assurément ces mots ne sont pas ceux d'un homme plaintif. Ruben Dario ne pleure pas la perte de sa jeunesse, il pleure la joie de l'avoir vécu. Et c'est dans la nostalgie qu'il revit sa jeunesse et la recrée en écrivant son poème.
Revenons à notre adolescent et en particulier, à l'adolescent difficile que nous recevons en consultation. La plupart du temps, c'est un jeune en désarroi qui me consulte, un jeune qui a du mal à exprimer son malaise avec des mots.
Il ne sait pas dire ce qui ne va pas, ou ne veut ou ne peut pas le dire et c'est à moi, thérapeute, de comprendre intuitivement son vécu intime et de lui souffler les mots pour qu'il exprime son mal-être.
Lui souffler les mots avec beaucoup de tacts, attention, et sans avoir l'air de l'aider pour ne pas le heurter. Il supporte pas qu'on l'aide non.
L'adolescent ne s'est pas toujours parler de ce qu'il ressent. Parce qu'il ne sait pas très bien ce qu'il ressent.
Justement, je distingue trois types d'adolescents selon leur comportement et l'intensité de leur souffrance.
D'abord nous avons les jeunes bien portants qui traversent tant bien que mal les orages qui éclatent inévitablement à l'adolescence.
Ensuite, et là c'est plus compliqué, nous avons les jeunes ayant des comportements dangereux. Oui des comportements à risque pour la société et pour eux-mêmes.
Mais avant de poursuivre j'ai une chose importante à vous dire, sachez que tout comportement dangereux et destructeur signifie que le jeune violent souffre intérieurement. Un jeune violent par exemple, se scarifie le bras ou brûle une voiture parce qu'il est profondément malheureux.
Malheureux avec lui-même d'abord, et révolté, enragé contre toute chose qui évoque pour lui l'autorité le bonheur ou même la beauté. Le jeune violent ne supporte pas le bonheur. Que ce soit son bonheur et surtout le bonheur des autres.
Nous avons enfin la troisième catégorie d'adolescents. Nous avions les adolescents bien portants, ensuite les adolescents dangereux et maintenant troisième catégorie la plus préoccupante, je dois vous dire, celle des jeunes qui souffrent de troubles mentaux. Parmi ces troubles mentaux, le plus dramatique est incontestablement la schizophrénie.
La schizophrénie est une maladie qui se déclare toujours à l'âge de l'adolescence et qui s'avère souvent difficile à soigner.
Un exemple de schizophrénie est le cas, rappelez-vous, de ce jeune qui dans un accès de délire a tué aux États-Unis une vingtaine d'écoliers.
Schizophrénie est un mot qui signifie division "Schizo", c'est une division en grec. "Fréni", c'est l'esprit, c'est l'âme. La schizophrénie, c'est donc une dissociation, une division de l'âme. Il y a différentes formes de divisions. Une des formes les plus fréquentes c'est qu'il y a une séparation entre le corps et la tête. Le jeune malade sent que son corps ne lui appartient pas.
Il fait souvent des gestes, je me souviens de l'avoir vu à l'hôpital chez de nombreux patients schizophrènes, le jeune fait souvent le geste de porter sa main au niveau des yeux, la regarder intensément en la faisant pivoter et se demander si cette main est bien la sienne.
Le schizophrène est un patient qui peut être victime d'hallucinations. En particulier d'hallucinations auditives. Il entend des voix qui le commandent.
Il peut aussi souffrir d'accès de délire en particulier de délire de persécution. Et il peut même se suicider parfois on se défenestrant.
Au cours de mon internat en psychiatrie, j'ai souvent été de garde la nuit pour surveiller un dortoir de malade schizophrène.
Je connais bien les patients schizophrènes. J'ai vécu avec eux des moments d'intenses émotions, des moments de peur, comme celui de cette nuit que je n'oublierai pas. Je dormais dans le petit bureau attenant au dortoir, allongé sur le lit de camp, tout habillé avec ma blouse blanche, quand soudain je me suis réveillée en sursaut, parce que je sentais une présence inquiétante. En ouvrant les yeux j'ai eu la peur de ma vie. Une jeune patiente schizophrène était penchée sur mon visage tout prêt, très très très très près, elle me fixait d'un regard glaçant.
Cependant j'ai aussi vécu des moments passionnants où j'ai appris à sentir ce que peut sentir un jeune schizophrène et devenir plus compétent pour le soigner.
Mais laissons la schizophrénie et rappelons que l'adolescence peut être aussi l'âge d'autres troubles mentaux tels que les tocs. Toc veut dire trouble obsessionnel compulsif. T O C. Obsessionnel parce que c'est une idée qu'on ne peut pas chasser de sa tête. Et compulsif parce qu'on ne peut pas s'empêcher de faire ce que l'idée nous dit de faire.
Un autre trouble fréquent est la phobie, comme par exemple la phobie scolaire.
Je dois dire, que mon travail de thérapeute m'apprend jour après jour comment fonctionne un jeune dans sa tête et c'est de cela dont je voudrais vous parler maintenant.
C'est ça que je voudrais vous transmettre. Je vais donc vous faire rentrer dans la tête de l'adolescent que nous avons tous été ou dans la tête du jeune que vous côtoyez.
Quand je suis assis devant un garçon ou une jeune fille qui me consulte, j'essaie de saisir le malaise intérieur qui le déstabilise. Quel est ce malaise. En fait, il y en a deux. En regardant son visage et ses mimiques. En observant son allure où en écoutant les mots qu'il m'adresse, je vois toujours en lui le petit enfant qu'il a été comme si l'adolescent était une créature hybride. Faite d'un corps d'adulte, surmonté d'une petite tête d'enfant, incapable de contenir le torrent des pulsions sexuelles et des pulsions agressives qui bouillonnent en lui.
Mais il est aussi un autre malaise. Quand je me trouve en présence d'un adolescent je n'oublie pas que mine de rien il est en train de quitter son enfance. C'est une perte silencieuse, sourde, qui ne se voit ni se ressent, mais qui se poursuit inexorablement jusqu'à la conquête de la maturité.
Voici donc le deuxième malaise intérieur de l'adolescent : faire le deuil de son enfance.
Je viens d'utiliser le mot deuil, mais qu'est-ce qu'un deuil. Qu'est-ce par exemple que le deuil d'un proche qui vient de nous quitter.
Je voudrais le définir : le deuil et le temps qu'il faut pour accepter de vivre avec l'absence de celui ou de celle que nous aimons et que nous venons de perdre.
Or accepter de vivre avec l'absence signifie apprendre à aimer différemment, l'être chère que nous avons perdu. J'aimais ma mère quand elle était vivante et je l'aime toujours autant mais différemment maintenant qu'elle n'est plus là.
De même l'adolescent doit lui aussi accepter de ne plus être l'enfant qu'il a été et, devenu adulte, se souvenir de son enfance avec tendresse.
Avant de conclure, je voudrais répondre à une question : comment savoir si un jeune est devenu adulte ? Bien sûr, personne ne devient jamais complètement adulte. Cependant je repère deux indicateurs de maturité. Je les appelle comme ça : des indicateurs des maturités, qui attestent qu'un adolescent a cessé d'être adolescent.
D'abord le jeune a compris intuitivement qu'être un homme ou une femme c'est se permettre de régresser à l'enfance quand on veut et comment on veut sans pour autant se sentir rabaissé. Ensuite deuxième indicateur de maturité le jeune homme ou la jeune femme n'est pas gêné d'être obéissant. Ce n'est pas parce que nous répondons aux exigences d'un supérieur hiérarchique ou que nous nous plions à une discipline que nous nous avilissons dans une soumission.
Aussi, être adulte, c'est vivre sans crainte de jouer comme un enfant et sans honte de se montrer obéissant.
Assurément, il existe beaucoup d'autres indices de maturité. Comme par exemple qu'un jeune est devenu adulte lorsqu'il n'est plus dépendant financièrement de ses parents.
Voilà, j'aimerais maintenant rendre hommage aux adolescents d'aujourd'hui et au-delà, à l'adolescent de toujours.
L'adolescent perd son enfance, son corps d'enfant et l'univers familial dans lequel il a grandi, mais il garde en lui un trésor. Son identité la plus intime, ce qu'il est. Et il gagne enfin la maturité. Et bien voilà ce que je voulais vous dire ce que notre identité, c'est-à-dire le sentiment d'être nous-mêmes, prend toujours le visage souriant d'un enfant. De l'enfant innocent que nous avons été. Je pense ici au mot du poète qui a chanté merveilleusement la présence vivante de l'enfant au cœur de l'adulte.
C'est avec ce mot inoubliable que je voudrais conclure.
Certes ma vie est déjà pleine de morts mais le plus mort des morts est le petit garçon que je fus et pourtant une fois l'heure venue c'est lui qui retrouvera sa place à la tête de ma vie, rassemblera mes pauvres années jusqu'à la dernière et on entrera le 1er dans la lumière sacrée.
Je laisse maintenant ici le mot du poète et je vous dis ce que je me dis à moi-même : quand quelqu'un meurt, à l'instant même de la mort, c'est toujours un enfant qui meurt, un enfant innocent qui a peur.
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